Interview croisée Kim Kamarebe et Maïmouna Baillet, Directrices d'Inua Capital et de Sinergi
Submitted by admin on Tue, 04/18/2023 - 13:13
Dans cette interview, Kim et Maïmouna, respectivement Directrices d’Inua Capital et de Sinergi, et deux premières femmes directrices de fonds du réseau IPDEV 2, nous parlent des difficultés et des opportunités auxquelles elles sont exposées dans leurs fonctions et dans leur pays, de la place du genre dans le capital investissement et de leurs objectifs et visions pour l’entrepreneuriat.
Aux parcours sensiblement similaires, Kim Kamarebe et Maïmouna Baillet ont décidé de revenir dans leurs pays d’origine après plusieurs années passées à l’étranger et se sont tournées vers le financement des PME africaines à fort potentiel d’impact. Maïmouna reprend la direction de Sinergi, premier fonds et projet pilote du réseau IPDEV 2 (2006), tandis que Kim a lancé en 2023 le dernier fonds à date du réseau IPDEV 2 : Inua Capital, basé en Ouganda.
Commençons par quelques mots sur votre parcours : comment en êtes-vous arrivées à diriger un fonds dédié aux PME ? Comment s’est faite votre rencontre avec I&P ?
[Kim Kamarebe] Des années avant de rencontrer I&P, je suis retourné en Ouganda pour créer le premier fonds d'investissement local et mettre en place un écosystème de capital-investissement. Mon rêve personnel était d'utiliser toute l'expérience que j'avais acquise à l'étranger (HSBC, Goldman Sachs...) pour favoriser le développement économique en Ouganda. Après avoir dirigé ma propre société de conseil en stratégie et en investissement, Damascus Advisory, puis le fonds d'investissement de 13 millions de livres sterling d'AgDevCo Uganda, j'ai pris contact avec I&P et nous avons convenu de lancer un nouveau fonds au sein du réseau IPDEV 2, dont je serais le gestionnaire.
[Maïmouna Baillet] Pour ma part, je connaissais déjà I&P pour avoir travaillé dans la finance à Paris puis en Afrique de l’Ouest. En reprenant la direction générale de Sinergi en 2022, j’ai découvert une culture d’entreprise familiale et bienveillante, et la vision d’impact m’a immédiatement convaincue. L’équipe de SINERGI a été de loin la plus belle des surprises, au vu de la qualité des profils et des compétences des collègues. Nous disposons d’une équipe jeune et dynamique, motivée et animée de la volonté de faire du seul fonds d’investissement au Niger une référence. L’intégration s’est faite progressivement, et se poursuit toujours, ce qui est dans l’ordre des choses pour une structure en place depuis 2006.
Sinergi et Inua Capital ont connu des succès différents auprès des investisseurs locaux. Sur quels critères se basent leur confiance ?
[Maïmouna] La confiance accordée par les investisseurs locaux au modèle de Sinergi et d’Inua Capital, fonds se focalisant sur un seul pays, dépend de plusieurs facteurs : les modèles existants, le track-record, le pipeline de projets, le contexte politique, économique et culturel du pays d’implantation (…)
Sinergi, projet pilote lancé en 2006, est une référence qui démontre la viabilité du modèle. Approche qui a été reproduite au Burkina, au Sénégal, en Côte d’Ivoire et à Madagascar et qui a engendré une certaine mobilisation auprès des communautés locales d’investisseurs.
Au Niger, nous avons des actionnaires parmi les entrepreneurs et investisseurs les plus aguerris du pays et bénéficions de leur confiance et de leur appui, à commencer par notre PCA. Cela, en plus des éléments cités plus haut, ne peut que nous accorder de la légitimité et de la confiance auprès d’éventuels nouveaux investisseurs.
[Kim] Il a par contre été plus difficile de lever des fonds localement en Ouganda. Notre modèle de fonds peine à convaincre les investisseurs en Afrique de l’Est, particulièrement dans la sphère financière, paradoxalement pour les mêmes raisons qui ont séduit en Afrique de l’Ouest. Les investisseurs qui nous ont fait confiance sont aujourd’hui, aux côtés d’I&P, la Mastercard Foundation, Agrifi ou encore Argidius. Et même si le tour de table qu’on a réalisé ne compte aucun investisseur local, l’équipe d’Inua a, dans le processus de levée de fonds, réussi à sensibiliser à la nécessité de soutenir cette approche.
La confiance accordée par les investisseurs locaux au modèle de Sinergi et d’Inua Capital, fonds se focalisant sur un seul pays, dépend de plusieurs facteurs : les modèles existants, le track-record, le pipeline de projets, le contexte politique, économique et culturel du pays d’implantation (…)
Le monde de la finance est un secteur qui reste très genré : le fait d'être une femme vous pénalise-t-il, soit auprès des investisseurs, soit auprès des entrepreneurs et chefs d'entreprise qui travailleront plus tard avec vous ?
[Kim] En Ouganda, le genre est surtout pénalisant pour les femmes qui n’ont pas eu accès aux hautes études. Moins le niveau d’éducation est élevé, plus la question du genre est problématique. La plus grande banque d’Ouganda est par exemple dirigée par une femme. À l’inverse, les femmes entrepreneures n’ayant pas eu accès à l'éducation, ou n'ayant pas pu poursuivre leurs études, ont difficilement accès à des offres de financement.
[Maïmouna] En Europe ou en Afrique, à l’exception de cas isolés, une éventuelle pénalisation due au genre, au même titre que d’autres facteurs d’exclusion (origine, religion), est rarement exprimée mais existe. Pour changer les mentalités, il faut travailler en étant consciente de devoir en faire deux fois plus, ne pas laisser ses émotions ou sa vie de famille empiéter sur son travail. Il faut également se soutenir et ne pas hésiter à se faire entendre lorsqu’une injustice est commise. Je suis convaincue que ma position d’investisseur, et surtout d’investisseur à impact, permettra de changer la situation des femmes entrepreneures. Cela signifie que les besoins spécifiques de cette cible seront étudiés et adressés, notamment tout le soutien non financier (formation, renforcement de capacités, accompagnement etc.). Leur potentiel de croissance ne dépend pas forcément d’un prêt et nous sommes capables de répondre à cela.
Moins le niveau d’éducation est élevé, plus la question du genre est problématique. Les femmes entrepreneures n’ayant pas eu accès à l'éducation, ou n'ayant pas pu poursuivre leurs études, ont plus difficilement accès à des offres de financement.
Quels sont vos objectifs à court et moyen-terme pour Inua Capital et Sinergi ?
[Kim] Les femmes (et les hommes) ougandais(e)s qui ont le courage d’entreprendre sont nombreuses et nous nous engageons à les soutenir, à les accompagner, à renforcer leurs compétences pour révéler les championnes de l’entrepreneuriat de demain. Parallèlement, nous voulons être les pionniers du capital patient pour permettre à l’innovation africaine d’exprimer tout son potentiel sur le moyen et le long terme et donner l’occasion aux projets d’impact d’atteindre leur taille critique.
[Maïmouna] Nous avons réalisé beaucoup de projets de développement en amorçage ces dernières années parce que nous nous sommes rendu compte qu’il fallait accompagner les entreprises à être prêtes pour l’investissement en capital. C’est chose faite, nous pouvons donc capitaliser sur cette expérience et renouer pleinement avec l’activité d’investissement, le corps même de notre métier. Le second objectif est de reprendre notre place au sein de l’écosystème des PME nigériennes. Avec l’expérience et l’expertise que nous avons depuis 17 ans, nous pensons avoir un rôle à jouer en termes d’animation et d’aiguillage des PME. Notre troisième objectif, c’est le genre. Les femmes nigériennes qui ont le courage d’entreprendre sont nombreuses et elles ont besoin de soutien et d’accompagnement.
Aller plus loin :
⇒ ‘’En entrepreneuriat, le premier besoin spécifique aux femmes est le coaching ...’’ : une interview de Maïmouna Baillet pour SIKA Finance
⇒ I&P annonce le lancement d’Inua Capital, un fonds d'impact consacré aux PME en Ouganda
A propos :
I&P Développement (IPDEV 2) est un programme de construction de capacités d’investissement qui vise à créer, développer et sponsoriser des fonds d’impacts dans plusieurs pays d’Afrique. À date, IPDEV 2 a créé et financé 7 fonds nationaux : Sinergi (2006), Sinergi Burkina (2014), Teranga Capital au Sénégal (2016), Comoé Capital en Côte d’Ivoire (2018), Miarakap à Madagascar (2018), Zira Capital au Mali (2023) et Inua Capital en Ouganda (2023).
Inua Capital est le premier fonds d'investissement à impact dédié aux petites et moyennes entreprises ougandaises, fortement engagé sur la question du genre. Inua Capital investira en capital dans plus de 30 PME au cours de la prochaine décennie, avec des besoins de financement compris entre 100 000 et 500 000 dollars.
Le Fonds investira dans une perspective de genre (gender lens), ce qui se traduit par plusieurs objectifs. Inua vise à construire un portefeuille équilibré, avec au moins 30% de ses entreprises détenues ou dirigées par des femmes. lnua s'efforcera également de faire adopter des pratiques favorisant l'égalité entre les hommes et les femmes dans toutes les entreprises du portefeuille et de garantir la parité dans ses propres organes de gestion et de gouvernance.
Sinergi est un fonds d'investissement qui apporte des solutions de financement et d’accompagnement innovantes spécifiquement conçues pour répondre aux besoins des petites et moyennes entreprises au Niger ayant un besoin de financement entre 20 et 170 millions de FCFA, souvent freinées dans leur développement par un difficile accès aux financements de long-terme et aux compétences.