KaoPlast : donner une seconde vie au plastique au Sénégal
Submitted by admin on Tue, 11/11/2025 - 13:17
Au cœur du Sénégal, dans la région de Kaolack, une petite entreprise s’est donnée pour mission de transformer un problème environnemental en opportunité économique : KaoPlast.
Née en 2015 et totalement opérationnelle depuis 2018, l’entreprise s’est imposée comme un acteur pionnier du recyclage des plastiques durs dans une région encore peu structurée pour la gestion des déchets.
Dirigée depuis 2021 par Sandrine Gueye, ancienne coach sportive devenue entrepreneure engagée, KaoPlast emploie aujourd’hui plusieurs dizaines de personnes et collabore avec plus de 300 collecteurs à travers le pays.
Avec le soutien du programme CATAL1.5°T, cofinancé par le Green Climate Fund et la BMZ via la GIZ, Climate Kick et I&P, KaoPlast s’apprête à franchir une nouvelle étape de son développement pour renforcer l’économie circulaire au Sénégal.
Entretien avec Sandrine Gueye, gérante de KaoPlast
Qu’est-ce qui vous a menée à Kaolack et chez KaoPlast ?
À la base, j’étais coach sportive, rien à voir avec le plastique ! Mais j’ai toujours eu cette sensibilité environnementale.
Quand je suis arrivée ici, au Sénégal, dans un petit village près de Kaolack, j’ai été frappée par la quantité de déchets autour de nous.
J’ai rencontré Elven Bardou, le fondateur de KaoPlast, qui cherchait quelqu’un pour l’aider à Kaolack. J’ai commencé en 2019, puis j’ai repris la gérance en 2021, quand il est rentré en France. Depuis, on s’est battu pour faire grandir cette entreprise, souvent avec très peu de moyens.
Pourquoi Kaolack ?
La gestion des déchets, notamment plastique, pose un défi important dans la région de Kaolack. Tout est jeté dans la nature faute de structures adaptées. Dès le départ, le but de KaoPlast était double : créer de l’emploi local et nettoyer la ville. Aujourd’hui encore, cette mission reste notre moteur.
Quels sont les principaux défis auxquels vous faites face ?
Le recyclage ici, c’est un parcours du combattant. Nous intervenons sur toute la chaîne : la collecte, le transport, le tri, le broyage et la vente. Le marché n’est pas encore totalement structuré, il faut négocier chaque prix d’achat, et à la revente, les prix sont souvent décorrélés de ceux de la matière vierge. Nous faisons face à des coûts de transport élevés et à un manque de régulation. Les plasturgies locales ne sont pas tenues d’intégrer du “recyclé” dans leur production, et la matière vierge importée n’est pas taxée. Malgré tout, nous avons tenu bon, parfois en nous sacrifiant personnellement pour ne pas renvoyer nos employés.
Heureusement, le financement de CATAL1.5°T, en partenariat avec I&P, nous a permis de stabiliser notre trésorerie et d’envisager l’avenir plus sereinement.
Comment fonctionne la collecte au quotidien ?
À Kaolack, nous avons structuré un réseau de trois grands collecteurs qui travaillent avec des dizaines de charretiers et de petits ramasseurs. Le charretier passe dans les quartiers, les habitants sortent leurs plastiques, et tout cela converge vers nous.
Ce qui est encourageant, c’est qu’il y a six ou sept ans, le plastique était gratuit, aujourd’hui, il s’achète. Cela montre qu’une vraie économie du recyclage est en train de naître.
Quels impacts concrets avez-vous constatés ?
Chaque mois, nous collectons entre 60 et 80 tonnes de plastique, que nous revalorisons localement. Indirectement, cela améliore la propreté des quartiers et crée des revenus pour des centaines de familles.
Mais il reste du chemin à faire. Dans les campagnes, les déchets sont encore partout. On sensibilise au tri, surtout auprès des enfants, et on accueille souvent des écoles pour leur montrer notre travail. C’est lent, mais ça avance.
Comment s’est faite la rencontre avec CATAL1.5°T et I&P ?
Nous répondions à de nombreux appels à projets depuis des années. CATAL1.5°T cherchait à soutenir des entreprises qui réduisent les émissions de gaz à effet de serre en Afrique de l’Ouest.
Notre projet, premier enregistré en Afrique pour l’atténuation des impacts sociaux et environnementaux du plastique certifié VERRA (Plastic Waste Reduction Standard), un standard international de certification environnementale.
Le programme nous a accordé un prêt de 190 000 euros, intégré dans un plan d’investissement global de 1 million d’euros.
À quoi ce financement va-t-il servir ?
Il va nous permettre de changer d’échelle :
- Passer du statut de PME à celui d’entreprise plus solide et compétitive ;
- Moderniser notre outil de production (camion, nouvelle ligne de broyage, panneaux solaires, extrudeuse…) ;
- Et surtout, assurer la pérennité des emplois et la montée en puissance du recyclage local.
Notre objectif est d’atteindre 1 000 tonnes de plastique recyclé par an d’ici 2026 et de construire notre propre usine, plus adaptée, avec un système de traitement des eaux et des panneaux solaires.
Pensez-vous que le recyclage peut devenir un levier économique important au Sénégal ?
Oui, clairement. Le recyclage crée de la valeur et des revenus à chaque étape : du collecteur aux ménages, jusqu’au consommateur final qui achète un produit recyclé. C’est une vraie économie circulaire qui bénéficie à tous.
Qu’a changé cette aventure dans votre vie ?
Beaucoup de choses. Quand on arrive d’Europe, on pense parfois pouvoir tout révolutionner, mais on apprend à s’adapter. Chaque pays a ses codes, et il faut les comprendre avant de proposer des solutions.
Ce que j’essaie de transmettre, surtout aux jeunes du village, c’est qu’il y a des opportunités ici.
Beaucoup rêvent d’Europe, mais moi, si on me donne le choix, je reste au Sénégal. Il y a tout à construire, et les jeunes ont un rôle essentiel à jouer.
